Extrait, Go Get Lost

GO GET LOST

Au large de la côte Est de l’île de Honshu, un tremblement de terre de magnitude 9,
suivi de nombreuses et puissantes répliques, a provoqué un tsunami. Des vagues atteignant
plus de quinze mètres de haut ont déferlé et pénétré jusqu’à dix kilomètres à l’intérieur des terres, ravageant près de six cents kilomètres de côtes, engloutissant des villages entiers et causant la mort de plus de dix-huit mille personnes.

Située à cent quarante-cinq kilomètres au sud de l’épicentre, la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi a d’abord perdu l’alimentation électrique externe du site à la suite des secousses avant que son système de refroidissement interne soit entièrement mis hors service par les dommages du tsunami, engendrant un accident nucléaire de niveau 7, le plus important depuis celui de Tchernobyl en 1986.

La fusion des cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 a formé un corium, agrégat extrêmement radioactif d’uranium, de plutonium, de produits de fission et de métal fondu qui a perforé les cuves métalliques des trois réacteurs avant de disparaître. Pour tenter de comprendre où s’est logé ce magma brûlant, l’opérateur TEPCO (en charge de l’exploitation de la centrale et désormais de son démantèlement) a fait construire une série de robots capables de pénétrer dans ces lieux où un humain ne survivrait pas quelques secondes.

Malheureusement, dans le cœur de la centrale de Fukushima, les robots meurent aussi.

Dans Go Get Lost, j’ai imaginé l’ultime voyage d’un robot liquidateur, envoyé pour localiser le cœur fondu du réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi et y trouvant la mort. Dans une définition très altérée, ces images – des found footage tournées par le robot lui-même – pourraient être celles d’une station spatiale abandonnée. Mais les artefacts les plus   perfectionnés de notre technologie moderne, conçus pour des voyages intergalactiques, explorent ici un endroit banalement terrestre, rendu impraticable par un désastre humain.

Ces robots sont à la fois télécommandés et programmés pour porter attention à certains détails particuliers de l’environnement hostile qu’ils explorent. Ainsi, au milieu des panoramiques saccadés, le robot soudain s’arrête, il zoome, reprend son point, ajuste encore et longuement observe. Le point de vue de la machine bascule alors dans un regard presque humain. J’ai choisi de reconstituer le voyage du robot serpent PMORPH, 7e du nom, pour ce moment où, face à son double mort et à la vanité post humaine qu’il lui propose, le robot commence à bugger, panique, défaille et meurt à son tour.

Lorsque j’ai découvert les images tournées par ce robot, elles étaient diffusées en direct par le site de TEPCO (l’opérateur chargé du démantèlement de la centrale après avoir eu la responsabilité de son exploitation). Mais quelques semaines plus tard, lorsque j’ai voulu les visionner à nouveau, elles avaient disparu. Après de longues recherches sur internet, j’ai retrouvé, fragments par fragments, ces plans muets que j’ai assemblés et fait sonoriser pour composer ce dernier voyage.

Production : Les Films de la Jetée / Avec le soutien de Diane Dufour – Le BAL
Diffusion : Le BAL (2018) , la Grande Halle de la Villette (2019),
La Fémis (2020), ENSP Arles (2020), Hôtel de Coulanges @3537 (2021)

Boucle de
4’

2018

Réalisation
Mélanie Pavy

Création sonore
André Rigaut

Photographies